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Université Populaire de Belfort - IDEE

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1973. Ou le temps des cousins

C'était à Royan, petite ville de Charente-Maritime, dans la maison de mes grands-parents.

Nous arrivions les premiers. Nous venions de moins loin. A l’arrière de la 404 de mon père dont l'odeur et le balancement me donnait la nausée, j’étais pourtant aux anges. Impatiente d’arriver dans cette grande maison où toute la famille se réunissait pour les vacances scolaires.

Ne traverse pas la rue en courant ! Attends !

Je stoppais mon élan. J’attendais. Sagement.

Il fallait attendre que mes parents vident le coffre. Attendre pour traverser cette rue qui semblait tellement dangereuse. Attendre que les grands-parents viennent ouvrir la grande porte en fer forgé. Le pas de mon grand-père.

Bonjour Papi.

Bonjour ma fille.

Ils sont arrivés ?

Pas encore.

Ils arrivent quand ?

Plus tard.

Plus tard, ça me convenait comme information. Le temps n’existe pas à 8 ans.

Plus tard  c’était pas maintenant. Trépigner à l’intérieur et parfois laisser déborder l’impatience par un sautillement, une chanson, un rire d’enfant. Il fallait encore attendre.

Attendre que mes arrière-grands-parents arrivent jusqu’à nous, à tous petits pas douloureux de vieillards heureux.

Il fallait monter les bagages, mettre des chaussons, allez se laver les mains. « Tu dormiras dans la grande chambre avec tes cousins ». Phrase rituelle de chaque vacances. Répartition immuable qu’il faisait bon entendre à chaque fois. Joie d’enfant, sincère et bruyante.

Mais il fallait encore attendre. Ma mère et ma grand-mère délibéraient sur les menus prévus, les courses à faire, les idées de repas… tout en se rappelant bien que « Claire n’aime pas les endives et Christophe, la ratatouille ».

Tu as commandé les huitres, mon Petit ?

« Mon Petit », c’était mon grand-père, Papi André, que ma grand-mère appelait comme ça parce qu’elle avait 3 ou 4 ans de plus que lui.

« Mon petit » avait bien commandé les huitres.

Ces conversations intendantes et banales, c’était déjà les vacances.

Je tentait une nouvelle approche :

« ils sont partis quand de Périgueux ? ».

On ne savait pas exactement. Dans les années 70 il fallait se fier au dernier coup de fils qui pouvait dater de la veille. Au mieux. Alors il fallait être patiente.

Une éternité.

C’est le repas de midi. Les adultes parlent entre eux, de leur métier, de politique, des amis et de leurs enfants, de la famille éloignée dont on a eu des nouvelles ces dernières semaines. Papi André est le chef. Celui qui sait. On l’écoute. André a toujours le dernier mot. Mamie le gronde. C’est long un repas toute seule avec tous ces adultes. J’écoute parfois, quand c'est nouveau ou amusant. Souvent je vis dans ma tête. Et je prépare leur arrivée. Je fais des plans sur la comète.

J’adorais cette expression, elle me fait encore rire : il aurait fallu réussir à arriver sur une comète  pas trop petite quand même, et avec tout ce qu’il faut pour dessiner des plans ? !

A 8 ans, c’est possible.

Le repas s’achève. Café. Débarrassage. Vaisselle.

Et attendre encore. Potentiellement, sagement.

On va se promener ? Il fait beau, il faut en profiter. Alors plutôt que de trépigner, autant aller se promener en attendant. Marcher, sauter sur les rochers, mouiller mes chaussures parce que la flaque était plus grande que prévue. L’océan gris, vert, les vagues qui s'écrasent sur les rochers, les carrelets au loin. C’est beau. On respire. Allez ! on rentre ?

Je cours devant le groupe d’adultes qui n’avance pas. Je boue à l’intérieur. Cloche pied entre trottoir et caniveau. Pour éparpiller l’énergie. Comment peuvent-ils être aussi placides ces adultes ? Je reviens vers eux pour essayer de les faire avancer plus vite. Je repars en courant et quand nous sommes dans la rue Métadier, je cours jusqu’à la maison en passant en revue toutes les voitures garées dans la rue : et s’ils étaient arrivés pendant qu’on était partis ? Pas de R16 blanche :  j’aurais le temps de préparer le « cabinet noir », notre cachette ou tout se prépare en secret. Les adultes sont encore au bas de la rue. Je les rejoins en sautillant… Papi André lève le bras, il a dû voir un voisin.

Tu peux me donner la clef  ?

Attends, attends. Regarde qui est là.

Je me retourne en direction de la maison, ils sont là. Course folle dans la rue qui monte.

Tonton Claude si grand et tellement drôle avec son accent landais et tatie Danièle si moderne avec sa cigarette !

Et mes cousins tellement attendus !

Ils sont là. Ils sortent de la R16 un à un. Je ne sais pas par lequel commencer. Ils sont fatigués de ce voyage et un peu endormis. Mon impatience de fille unique se confronte à leurs habitudes de disputes, de jeux, de cris, de fratrie bruyante.

Quelques millisecondes d’impalpables déception. Il faut encore attendre un peu. Qu’ils atterrissent, qu'ils disent bonjour. J’attends. Ils sont là. On va rouvrir notre monde de jeux sans cesse réinventés.

Et enfin, Eric, l’ainé, déclare, « Rendez-vous dans 5 mn dans le cabinet noir ».

Ordre d’aîné. Obéissance enthousiasme des trois autres.

Les vacances peuvent commencer.

 

Cleritophale

      

 

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